Les interviews responsables : Emmanuelle ABOAF :

Publié le 16 janvier 2023

Improved Impact lance son nouveau format : « Les interviews responsables ». Notre objectif ? Mettre en avant les différentes entités / entreprises / freelances de notre secteur. Le tout, en vous apprenant de nouvelles connaissances sur le numérique responsable 😉

Et nous commençons notre première interview avec Emmanuelle ABOAF du cabinet de conseil dcube :

Bonjour Emmanuelle, pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Emmanuelle et je suis développeuse. Je suis également sourde appareillée de deux implants cochléaires. Avec ces deux implants cochléaires, je me considère un peu bionique.

Étant sourde, je suis très attachée à l’accessibilité. D’ailleurs, l’accessibilité fait partie de mon combat au quotidien.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre profession ? Quelles sont vos missions ?

Je suis développeuse chez dcube. Je code les sites extranets, intranets et extranets pour des clients de dcube avec mes deux technologies de prédilection : Angular pour le côté front et C#.NET pour le côté back, tout en implémentant l’accessibilité numérique.

Chez dcube, on utilise la méthodologie Agile qui me permet de suivre en temps réel le travail de mon équipe. Il est vrai que la méthodologie Agile incite beaucoup de réunions de suivi mais ce que j’apprécie dans cette méthode, c’est ce que je sais qui fait quoi et toutes les tâches sont décrites et écrites. A chaque fois qu’une information est transmise à l’oral, elle est écrite. Ainsi, je ne perds aucune information.

Pour commencer, quelle est votre définition de l’accessibilité numérique ?

Pour moi, un site internet doit être accessible pour chaque personne sans l’exclure et sans lui mettre des obstacles. Aller sur internet ne doit pas être un parcours de combattant et malheureusement, c’est le cas pour beaucoup d’entre nous.

Il est inadmissible de nos jours qu’une personne aveugle ou malvoyante qui veut acheter des produits sur internet ou réserver des places ne le puisse pas ou qu’une personne sourde ou malentendante n’ait pas accès aux mêmes informations que tout le monde quand elle veut pouvoir visionner une vidéo qui n’est pas sous-titrée ou un podcast non transcrit.

Personnellement, en plus de ma surdité, j’ai la cataracte précoce et depuis, je suis devenue photophobe. Je ne supporte plus la lumière et les couleurs claires. Les contenus des sites ne sont pas suffisamment contrastés c’est-à-dire que les ratios des couleurs entre l’arrière-plan (background) et la couleur (foreground) du texte ne sont pas respectées. Des fois, je vois à peine le texte, ce qui rend la lecture plus pénible.

Ce sont des exemples parmi d’autres qui font qu’énormément de sites ne sont pas accessibles aux personnes handicapées ou aux personnes qui sont en situation de handicap.

Quelles sont les clés pour mettre en place une bonne stratégie favorable à l’accessibilité numérique au sein d’une entreprise ?

On doit penser à l’accessibilité dès le début du projet.

Si on intègre l’accessibilité à la fin du projet, ça va coûter plus cher que si on le faisait au début. En effet, si on constate à la fin du projet des défauts d’accessibilité, il faut repasser sur chaque page pour la rendre accessible qui signifie refaire tout ou presque. Evidemment, repasser coûte de l’argent.

Alors que si on intègre l’accessibilité dès le début, l’impact est moindre car on prend en compte l’accessibilité dans le budget. On pense à l’accessibilité à chaque étape du projet, du prototype aux tests en impliquant toutes les personnes impliquées dans le projet.

C’est pourquoi il est important de former toutes les personnes associées au projet à l’accessibilité numérique.

Même les sites intranet et extranets sont concernées. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi des personnes handicapées qui travaillent. Si les outils de travail ne leur sont pas accessibles, comment elles peuvent effectuer leur travail correctement ?

Selon vous, en quoi la sobriété numérique et l’inclusion numérique peuvent-elles être complémentaires ?

J’essaie au mieux de sensibiliser les développeurs et développeuses à l’accessibilité numérique en leur montrant qu’il est facile d’implémenter l’accessibilité dans notre code une fois qu’on sait. Cela doit faire partie de nos habitudes. Malheureusement, il y a une grande méconnaissance sur le sujet et c’est pourquoi il faut sensibiliser au maximum de personnes.

Il y a beaucoup de préjugés autour de l’accessibilité numérique comme quoi il serait difficile de coder accessible un site internet alors que ce n’est pas du tout le cas. Il suffit parfois de bien étiqueter les champs avec l’attribut « for » dans un formulaire. Beaucoup d’attributs HTML peuvent faire la différence si on les utilise correctement.

La sobriété numérique et l’inclusion numérique peuvent être tout à fait complémentaires. On peut choisir des couleurs peu énergivores tout en respectant le ratio de contraste défini par le RGAA. On peut aussi désactiver les animations et les lectures automatiques par défaut. En réduisant les animations et lectures automatiques qui permettent d’économiser, on rend également accessible. En effet, les effets d’animations peuvent gêner certaines personnes et la lecture automatique quand il y a du son peut être en conflit avec le lecteur d’écran vocalisant la page.

Il y a 30 ans, Tim Berners-Lee avait imaginé un web accessible à tous et toutes. A l’époque, on chargeait que des pages HTML, CSS et JavaScript dans toute sa simplicité, sans les animations et vidéos, et ces pages étaient accessibles. Donc, oui, la sobriété numérique n’empêche pas l’inclusion.

D’ailleurs, sur nos projets Angular chez dcube, on fait du “lazy loading” c’est-à-dire qu’on charge les composants sur un site que quand on en a besoin. On essaie d’éviter de charger des packages et composants qui ne sont pas nécessaires. Aussi, on optimise nos codes et on réutilise nos composants déjà créés.

Récemment, j’ai fait le constat qu’en téléchargeant des packages issues de l’écosystème Node.JS, je ne trouvais pas des composants qui soient à la fois accessibles et customisables d’autant plus que dans ces packages, il y avait pleins de packages inutilisables. C’est pourquoi je construis mes propres composants qui soient à la fois accessibles et customisables. En répondant à vos questions, je réalise que je participe à la sobriété écologique inconsciemment.

Selon vous, en quoi Improved Impact pourrait-il être un levier numérique responsable au sein de votre activité ?

A l’heure où l’écologie prend de plus en plus la place, il est important d’être conscient de ce qu’on fait à un impact aussi bien sur les personnes que sur l’environnement. On manque de formations sur le sujet tout comme on manque de formations sur l’accessibilité numérique.

Il est vrai qu’on ne pense pas forcément à la sobriété écologique mais on pense souvent à la performance de nos sites internet. J’imagine qu’en améliorant les performances de nos sites, cela donne un côté responsable numérique.

Avant de conclure, quel conseil nous partageriez-vous pour tendre vers un numérique + inclusif ?

Nous avons tous et toutes une responsabilité dans la conception des produits. Si on n’inclut pas les personnes issues de la minorité, les inégalités vont s’accroître. On le voit bien avec les sites internets inaccessibles et les biais présents dans l’IA.

Pensez à inclure toutes les personnes dans vos produits et impliquez les personnes concernées dans vos processus.

Un petit mot pour la fin ?

Merci Improved Impact pour votre interview.

L’accessibilité numérique est une affaire de tous et de toutes. Si, demain, vous avez des problèmes de mobilité, de vue ou d’audition, vous seriez bien embêté de découvrir qu’internet ne vous soit pas aussi accessible qu’avant. Rendez accessible vos sites internet à tous et toutes.